ISRAEL. "Ni le Hamas, ni le Fatah ne veulent une troisième Intifada"
Plusieurs attaques à la voiture bélier et des heurts sur l'esplanade des Mosquées à Jérusalem font craindre une troisième Intifada. Interview de Denis Charbit, de l'Université Ouverte d'Israël.
Jérusalem a connu une de ses pires flambées de violence récentes avec plusieurs attaques à la voiture bélier et des heurts sur l'ultra-sensible esplanade des Mosquées à Jérusalem. Faut-il craindre une troisième Intifada ? Réponses parDenis Charbit, professeur de Sciences politiques à l'Université Ouverte d'Israël.
En moins de trois semaines, il y a eu deux attaques à la voiture bélier à Jérusalem. Est-ce qu'Israël est confronté à une nouvelle forme d'attaque terroriste ?
- Ce n'est pas la première fois. Il y a eu quelques attaques à la voiture béliers ces dernières années mais cela restait un phénomène relativement sporadique.
Le vrai problème, pour les organisations de sécurité et les services de renseignements, c'est que rien ne permet d'appréhender un tel acte. N'importe quel individu peut décider de prendre sa bagnole et de foncer sur des piétons. C'est une forme d'attentat privilégiée quand on appartient à aucune organisation. Il n'y a pas de mouvement que l'on peut surveiller ou infiltrer pour recueillir des informations. Donc pas d'anticipation possible.
De plus, si ce type d'attentat demande moins d'organisation, moins de moyen, il peut se reproduire à plus grande échelle. D'autant que, comme le système des roquettes, il créé au-delà des victimes directes un climat de panique : à tout moment, vous pouvez penser que telle voiture qui s'est arrêtée à un feu, peut vous rentrer dedans. C'est dans la logique du terrorisme.
Quel est l'impact psychologique de ce type d'opérations ?
- Israël a l'habitude. Il y quelques mois la tension était au sud. Il y a quelques années, elle était au nord. Pendant les Intifada, elle était un peu partout, y compris à Tel Aviv. Maintenant, elle est à Jérusalem.
Ces attaques suscitent terreur ou panique dans la population civile, qui changent ses comportements. Des personnes que je connais ont pris des précautions : elles évitent de prendre le bus au profit de leur voiture pour ne pas être ciblées. Les parents demandent à leurs enfants d'inviter leurs amis à la maison plutôt qu'à l'extérieur. Ce sont les mêmes mesures que lors de la seconde Intifada dans les années 2000-2005.
La sécurité n'est plus seulement l'affaire des services de renseignements mais aussi celle des citoyens.
Les autorités israéliennes renforçaient jeudi les mesures de sécurité : elles ont placé des blocs de bétons pour protéger les abris pour les passagers le long de la ligne de tramway. Une approche sécuritaire est-elle suffisante ?
- C'est la plus facile à mettre en œuvre mais ce n'est jamais suffisant. Sans vouloir établir un rapport de cause à effet trop direct, l'absence de perspective politique nourrit un peu plus ce type d'actions. Le gouvernement Netanyahou doit se mordre les doigts d'avoir laissé entendre qu'on pouvait remettre le statu quo de l'esplanade des Mosquées, d'avoir permis l'entrée des ces familles juives dans le quartier arabe de Silwan, même si elles sont dans des habitations achetées légalement. Il a joué avec le feu et voilà le résultat. D'autant que la situation était déjà tendue depuis la mort du jeune Mohamed après la découverte des trois garçons juifs assassinés.
Y-a-t-il un risque d'une spirale de violence, voire d'une troisième Intifada ?
- On se pose la question à chaque moment de tension. Cela peut-être le cas cette fois, si on se souvient que ni la première, ni la seconde, n'était préméditées - contrairement à ce que l'on croit. Ce n'est pas Yasser Arafat, ni aucun autre mouvement, qui étaient derrière ces événements. Comme toute insurrection, cela ne se prépare pas mais se déclenche sans que personne ne le décide. Donc oui, c'est un risque.
Si cela fait tache d'huile, les organisations, que ce soit le Fatah ou le Hamas, prendront le train en marche et diront c'est la troisième Intifada. Comme le disait Cocteau dans un autre contexte : "Puisque ces mystères me dépassent, feignons d'en être l'organisateur".
En revanche, ni le Hamas, ni le Fatah ne le veulent vraiment. De conviction, Mahmoud Abbas n'a jamais pensé que la violence était payante. Au contraire, il a toujours pensé que la violence ne résoudrait pas le problème palestinien, même s'il reconnaît que la voie diplomatique n'est pas plus payante.
De plus, comme il est en train de poursuivre son offensive diplomatique à l'ONU, contournant ainsi les négociations avec Israël, il n'y a rien de plus contre-productif qu'une Intafada, même s'il récupère un éventuel mouvement d'ampleur. Pour avoir la majorité des voix au Conseil de sécurité et surtout l'assentiment des Américains, il a besoin d'une situation relativement calme. Sinon il risque de se confronter de nouveau au principe de légitime défense d'Israël et tout le monde souhaitera un retour aux négociations.
Le Hamas lui non plus ne veut pas d'Intifada parce qu'il est en train de négocier difficilement, en raison de l'hostilité de l'Egypte, la question de la levée blocus, de l'importation de béton armé. Le meilleur moyen de tout faire capoter est de déclencher une troisième Intifada...
Mais une Intifada d'un autre genre, localisée, c'est possible ?
- En comparaison avec les deux précédentes Intifada, ce qui se passe aujourd'hui est illisible, aussi bien pour vous les journalistes que pour nous les observateurs sur le terrain. Personne n'est capable, ni dans les chancelleries américaines, européennes ou israéliennes de dire comment cela va évoluer. Cela peut aussi bien s'arrêter que se propager, ce que chacun redoute.
Le caractère d'une Intifada c'est deux choses : qu'elle ait lieu un peu partout en Cisjordanie et qu'elle mêle à la fois des actions populaires avec femmes, mères, enfants et personnes âgées impliquées, et des attentats. La première Intifada était une insurrection populaire qu'on a appelé la "guerre des pierres". La seconde était davantage dirigée vers la lutte armée, d'ailleurs inégale, entre l'armée israélienne et les organisations palestiniennes.
Aujourd'hui sommes-nous face à une insurrection ? J'imagine que des arsenaux sont dissimulés un peu partout mais je pense que les Palestiniens sont conscients du prix très lourd qu'ils ont payé en 2000, pendant la seconde Intifada. Mais parfois l'histoire nous échappe, et quand bien même on ne le voudrait pas, cela peut arriver. Il y a une tentative jordanienne et israélienne de calmer un peu le jeu. Mais on est pas à l'abri d'une bavure, d'une erreur, d'une tuerie.
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